Crédit photo Jonathan Chantre
Depuis quelques années, la rentrée scolaire se présente devant moi comme une paroi vertigineuse.
Je n’ai pas le choix de l’escalader. Et je n’en pas vraiment envie.
Les belles balades, les pique-niques face à l’océan et les nuits bercées par le ressac… C’était mon rythme. Et tout cela, c’est derrière moi. Quelque part, mais pas ici !
A la place, une nouvelle saison – une nouvelle « année scolaire » – est à organiser, à mettre en route : contrats, fournitures scolaires, formulaires, réunions, projets où il est question de s’engager, démarches multiples à effectuer. Fini le sable, sous mes pieds le bitume. Du jour au lendemain, parce que le calendrier l’annonce, c’est la course, de grosses embuches en prime sur le trajet.
L’inconnu de la suite se déroule. Ai-je fait les bons choix ? Quel est le sens de tout cela ? Oh… l’océan me manque ! Me voilà prise entre des vies possibles imaginées, anticipées et ces moments si doux venus de mes meilleurs souvenirs. Le haut, le bas. C’est vertigineux.
Et puis, mon emploi du temps m’a laissé une chance.
Un matin, ce rendez-vous est annulé. Il était calé entre le chemin vers l’école et un cours de yoga. J’avais devant moi 30 minutes où rien n’est prévu. J’étais dans la rue avec toutes mes affaires, sur mon vélo. Je me suis mise en route pour la suite du programme. En traversant le parc de la Tête d’Or, je freine d’un coup. Je m’arrête sous un beau grand arbre, pose mon vélo contre lui. Je quitte mes sandales. Je pose mes pieds dans la terre. J’ouvre grand les bras. Mes mains s’étirent vers le ciel, vers ce ciel où les branchages se dessinent. Ca y est, je suis bien de retour dans ce ‘chez moi’ confortable ! Je prends le temps de quelques postures de yoga debout – elles me viennent d’elles-mêmes. Une pensée me traverse, une évidence : je suis bien là et c’est bon de le sentir.
C’était tout ce qu’il me fallait.
Dans cet immense tumulte, tout était monté en moi comme un tourbillon, me chauffant la tête et laissant peu s’ancrer mes pieds. J’avais retrouvé mes racines, les mêmes que sur la plage.
Une pensée me vient, réjouissante. Une décision. Le thème de mon premier atelier yogi du samedi de la rentrée sera : « Etre là – la présence ». Car ce tumulte que j’ai traversé, je ne suis sans doute pas la seule à le vivre. Transmettre le yoga, c’est pour moi partager très humblement cette condition commune d’êtres humains.
J’esquisse quelques notes : « Qu’est-ce qu’ ‘être là’ veut dire ? – Quand je suis là, que se passe-t-il ? – Quelles sont mes sensations ? Quel est mon ressenti ? Quand je suis bien présente, la vie – et le yoga – me touchent-ils d’une nouvelle manière ? Que rend ma présence possible ? – Pourquoi j’engage ou je désengage ma présence ? »
S’allonger et sentir sa présence
Pour croquer la séance que je guiderai, je laisse venir les postures d’un retour à soi, de l’ancrage, de la présence. Celle qui me touche le plus est la plus ‘simple’ : savasana. Une posture allongée sur le dos, bras légèrement écartés, paumes de mains vers le ciel, les gros orteils qui tombent légèrement vers l’extérieur. « Ce n’est pas l’animation qui crée la présence » disait Peter, mon maître, à son propos.
Pour la méditation, j’ai envie d’étirer l’exploration de la présence dans la relation à l’Autre… avec cette notion, ‘satya’, la « véracité », la « vérité » dont parle Patanjali dans les Yoga-sutras, texte à la fondation du yoga écrit il y a plus de 2000 ans. Dans la relation, « être là ce que je suis », traduisait mon maître. Il me semble que c’est à partir de cela que peut vivre la relation.
Ce samedi matin, nous avons pris le temps de la présence, présence à chacun, présence des uns aux autres.
En fin d’atelier, une évidence devant moi : chacun, présent de manière unique – essentielle.
‘atha yoga-anushasanam’ en sanskrit. C’est ici et maintenant que commence le yoga, peut-on traduire. Une phrase qui ouvre ce texte millénaire dont nous venons de parler.
Adeline Charvet