Crédit photo DR
Lors d’une soirée apéro, je discutais avec une amie qui donne des cours d’une pratique pas très loin du yoga. Nous échangions sur notre manière de recenser les réservations, de noter les inscriptions sans que ce soit trop laborieux. Je lui détaillais mon système, un peu chronophage et qui me demandait de la rigueur un peu plus que j’en avais d’emblée. J’y voyais – sans lui partager ce point encore – un moyen de travailler chez moi une certaine discipline dans l’organisation. Et elle s’exclamait : « Mais c’est pas très yoga tout ça, non ? ! » J’ai compris qu’elle voulait dire que c’était un peu compliqué à gérer, pas un laisser aller un peu flou mais qui marcherait quand même. Elle voulait me dire en gros que je ferais aussi bien en faisant plus simple même si c’était moins précis.
J’y ai longuement réfléchi et je n’ai toujours pas de réponse définitive. Mais je suis restée concentrée sur le « c’est pas très yoga ». La phrase rejoignait les remarques que je reçois de temps en temps en tant que « professeure de yoga ». Être zen, relax, sans souci. La sagesse incarnée ! Le yoga, pour moi ce n’est pas tout à fait ça… Alors, je suis revenue au texte (1) et j’ai pensé que ce serait un bon thème pour mon prochain atelier du samedi matin, revenir à la base de ce qui « fait le yoga ».
Se faire mijoter pour changer de saveur
« Tapah-svadhyaya-îsvarapraṇidhānāni kriyâ-yogah » énonce le YS II.1. ‘La discipline, la réflexion sur soi et l’abandon à Îsvara constituent le yoga de l’action’ ont traduit mes enseignants, Peter et Colette Hersnack.
A partir de là, j’ai déballé tous mes magazines yoga, relu les avis des uns et des autres sur le sujet.
Et j’ai laissé infuser le tout dans mon quotidien.
Tapas, c’est faire cuire pour transformer, une cuisine personnelle ardue, rigoureuse… quelque chose qui nous confronte, nous échauffe… « C’est prendre un support extérieur au sérieux » résumait Peter, mon professeur. J’essayais à la moindre occasion dans mon quotidien de transposer la phrase de Peter aux exemples qui me venaient. – Si je prends un cours de yoga chaque semaine avec un professeur que j’estime – oui, c’est tapas, je prends le lieu, l’horaire et ma relation avec le professeur – ces éléments extérieurs à moi – au sérieux : je m’y colle et je pratique, cet espace de pratique a de l’importance pour moi, je sais que je peux y découvrir, y apprendre y expérimenter. Je veux bien m’y faire cuire. Sérieusement.
Se connaître… un peu autrement !
Qu’en est-il de ‘svâdhyâya’ ? S’étudier, réfléchir sur soi, aller proche de soi… Me vient d’abord comme exemple le travail que l’on peut entreprendre en psychanalyse, la capacité à réfléchir sur soi… je m’étais arrêtée là jusqu’à présent en lisant ce mot. Plusieurs traducteurs affirment que cela parle de « la récitation des chants sacrés »… ces chants védiques dont la sonorité enseignerait en elle-même.
Puis je me repasse mentalement la traduction de Peter à ce propos.
Une traduction que j’avais déjà vue mille fois : « C’est une ouverture dans l’instant ».
Pendant cet atelier d’un samedi matin d’octobre, diplôme déjà bien en poche, mémoire déjà bien rangé sur l’étagère, les élèves sur le tapis – je saisis la profondeur de l’interprétation. Prise de conscience. Je comprends que ‘svâdhyâya’ est ce que l’on découvre dans cet état de grande présence et d’ouverture, de lâcher prise… cet état où s’installe la méditation. Un état aussi utilisé dans certaines thérapies cognitives où on « laisse faire le cerveau ». Un état où quelque chose se révèle et nous enseigne, nous éclaire. Ce ne serait pas chercher des explications, analyser, comme je l’avais pensé mais s’ouvrir pour laisser venir. Nuance !
Et enfin s’abandonner
Voilà qu’arrive la dernière notion de ce sutra, à point : îsvarapraṇidhānāni, ‘l’abandon à la Vie’ – garant des horizons qui s’ouvrent éventuellement en appliquant discipline et réflexion sur soi, ces premiers ingrédients du yoga de l’action.
Dans mon enquête, je retrouve mes notes d’un stage avec Dominique Adda. Si la vie se décrivait par strates, « tapas » se trouverait dans celle de nous très ‘terrienne’. Ici, notre corps est impliqué, notre espace, notre respiration, la terre sur laquelle nous marchons avec notre poids.
« svâdhyâya » se placerait au niveau de notre ‘espace de pensées’. « îsvarapraṇidhānā » dans la zone des émotions, celle de notre inscription singulière au monde.
Alors, en cette fin de matinée sur le ‘kriya yoga’, je propose quatre temps à notre méditation, quatre temps pour que chacun observe son espace corporel, son espace de pensées, son inscription singulière et enfin ce qui s’ouvre en lui.
Une invitation vers ‘l‘espace des possibles’.
Ce passionnant et intrigant ‘espace’ que propose le yoga.
Ce serait plutôt ça, tiens, pour moi « agir yoga », avancer avec assiduité et sentir que tout est possible.
Adeline Charvet
Article à partir de l’atelier de yoga du 13 octobre 2018
(1) Les Yoga-sutras de Patanjali est un texte qui remonterait à cette époque entre 200 avant JC et l’An 500. C’est le principal texte sur lequel s’appuie le yoga. Un texte aussi largement considéré comme le premier traité de psychologie au monde.