L’instant présent

A cet instant ce n’est qu’un souffle
Celui-là, justement.
Pas celui d’avant qui a déjà lâché prise
Pas celui d’après que je ne connais pas
Et qui m’échappera de toute façon
Sitôt advenu, sitôt éclipsé.

C’est juste là, maintenant, ici, et cette brise
Entre mes lèvres, près de mon cœur ou
Au creux de mes épaules, de mon ventre, de mon dos,
Chante en silence, unique, insaisissable
Ouverte au monde, limpide et tout à la fois
Secrète et retenue dans les feuillages et
Les branchages de mon âme,
Dans les forêts de mes pensées.

A cet instant, à chaque instant, à cet entre-deux avant
L’instant d’avant et l’instant à venir,
Mon souffle, cette brise, se fait, se défait, se nourrit
Ou se libère.
Mais comment savoir où l’instant se pose ?
Comment le saisir, lui dont on parle tant ?

Même en fermant les yeux, l’instant unique et sans cesse renouvelé
M’échappe et se faufile, et court
Sous mes paupières dans une ribambelle
D’instants où je m’égare, un labyrinthe de secondes trop vite passées
0ù les temps se mélangent,
Où je lâche la main de mon instant qui respire, ou qui inspire,
Ou qui attend
Je ne sais plus.

Alors je reprends l’exercice
Je reviens à mon souffle, je reprends la traversée vers
Cette houle qui va et vient et que je tente de saisir dans l’instant
De capturer une fraction de seconde, de faire mienne juste une fois, juste là.
Juste une vague, ou le mouvement d’une vague ou l’ébauche d’une vague,
Ou l’esquisse d’une buée de souffle, un presque rien, entre l’expire ou l’inspire,
Ou avant, juste avant, ou après, juste après
Là, au cœur de là, un temps mystérieux
Troublant et pourtant à portée de mes paumes ouvertes, posées sur mes genoux,
Renonçant à toute attente, à toute exigence.

Alors je reviens à mon souffle, ne plus être l’affut, entendre enfin
Le monde autour de moi, la voix qui nous guide dans la salle
Le glissement léger des corps qui prennent appui, les échos inattendus de la rue
Les bourdonnements des voix qui parlent, le chuchotement des portes
Les cris des enfants qui courent, les battements des pas qui passent
Les notes de sons inconnus.

En suspens dans les bruits du monde
Plongée dans les bruits du monde
Vivante dans les bruits du monde
Il se peut alors qu’à cet instant, juste là, au cœur de mon inspire qui expire,
De mon souffle qui s’abandonne en gonflant ma poitrine,
Un instant présent se révèle et m’offre dans la posture un geste de clarté,
Léger comme un envol de papillon, rapide comme un battement de cils
Et cela juste au moment, ou avant ou après
Que je ne reprenne appui sur les vagues du souffle
Du mien et de celui qui fait battre le cœur du monde.

Cyrile (élève de la salle)
Nov 2017